Les derniers indiens
Marie-Hélène Lafon
Buchet /Chastel, 2008
"Les armoires sont pleines. On ne va plus dans la pièce du haut, on dort en bas, on vit en bas ; c’est assez grand, ça suffit, pour deux."
Ces deux-là, ce sont Marie et Jean, la soeur et le frère. Les deux rescapés de la famille Santoire. Quatre générations se sont succédées dans cette maison qui peu à peu a laissé de plus en plus de place aux morts et aux souvenirs.
Marie raconte, égrène et révèle ce que furent les Santoire, ce temps où la famille avait de l’importance et était estimée dans cette région chère à l’auteure. On retrouve ici les ambiances, les paysages déjà rencontrés dans Organes.
La maison est située près de Riom. Le domaine autour s’est lui aussi rétréci. Les troupeaux ont fait place au vide. Les terres ont été louées. L’argent rentre mais ils ne le dépensent pas. Ils ne savent pas, ne cherchent pas non plus à connaître le montant qui s’accumule.
"A Riom on allait à la banque pour retirer l’argent liquide qui était nécessaire pour les courses de nourriture, ou la coiffeuse, et d’autres menus frais".
Ils se contentent de peu et profitent des passages de la boulangerie/épicerie où ils se ravitaillent 2 fois par semaine. Ces deux-là vivent sur leur île désertée par les vivants. Le facteur, le dernier lien avec le réel, est parti à la retraite. De grosses boîtes aux lettres ont été installées au bout du chemin. "Marie avait été contente quand on avait installé ces boîtes. Le facteur ne viendrait plus dans la maison. Elle n’aimait pas cette cérémonie, toujours la mère prenait une pose, et le facteur, depuis vingt-trois ans, avait l’air de ne s’adresser qu’à elle, de ne voir qu’elle, et ne disait que Bonjour Madame Santoire, même si quelqu’un d’autre était dans la pièce".
Seuls les voisins, les Lavigne, cette tribu bruyante et chamarrée, les relie à la réalité, à cette modernité dont ils sont devenus les spectateurs derrière les fenêtres. Ils vieillissent, ils assistent passifs au remue-ménage de cette smala. La mère, omniprésente, désapprouvait, niait, ignorait déjà cette présence mais les regardait, les écoutait rire. "Ils savaient qu’ils n’étaient pas du même rang. La mère disait le mot rang dans sa gorge, il roulait presque doux, elle parlait aussi de ne pas mélanger les torchons et les serviettes."
La mère, personnage central du roman, hante toujours l’esprit de Marie. Organisée, rude, autoritaire, lointaine… Jean et Marie en ont gardé les stigmates et n’ont pas pu, pas su, pas voulu connaître l’amour à leur tour. Seul, Pierre avait grâce aux yeux de cette mère. Il est pourtant parti pour voler de ses propres ailes pour revenir mourir près des siens.
Avec Les derniers indiens, c’est une fois de plus un vrai grand coup de poing que l’on reçoit. Rigueur des cœurs, distance des corps, négation de l’amour, rage et rancœur renfermées et ce drame qui plane tout le long du récit (le meurtre de la petite Lavigne)… C’est une histoire dure, rude d’une famille qui se consume et va s’éteindre. Dès cette quatrième génération, les signes d’une future extinction s’étaient manifestés. C’est une histoire de corps qui deviennent secs d’être restés trop longtemps sous le joug d’une mère rigide, des corps qui n’ont plus réagi même si l’envie d’une autre vie avait germé mais trop tard. Le temps a fait son œuvre.
J'aime définitivement les ambiances des romans de MH Lafon qui nous renvoient immanquablement quelque chose de nous mêmes, des parfums, des souvenirs...