Le cœur n’est pas un genou que l’on plie
Mariama Barry
Gallimard, continents noirs, 2007
Mes connaissances sur l’histoire de la Guinée post-colonialisme sont peu étendues mais suffisantes pour ouvrir ce livre avec une certaine appréhension. Dans ce récit, on est loin des livres coup de poing comme "la mort de Diallo Telli" d’Amadou Diallo, mais l’ombre du dictateur et de ses sbires plane à toutes les pages.
"Comme vous le savez, camarades, mon avancement, je le dois à la Révolution,, au camarade stratège…qui me nomma à se poste pour servir mon peuple. Après soixante ans de colonisation, nous lui sommes redevables de notre condition d’hommes libres. Il nous a libéré deux fois : la première fois de l’impérialisme, du colonialisme et du néocolonialisme français, la seconde fois de l’exploitation de l’homme par l’homme…Nous devons nous mobiliser derrière ce grand homme et lui témoigner notre reconnaissance. Toute personne qui enfreindra la Révolution en marche me trouvera sur son chemin" (!...)
Intimidation, fermeture des frontières, incarcérations arbitraires, tortures… c’est dans ce contexte que l’on va suivre l’héroïne sur une période de 3 ans environ, récit en grande partie autobiographique.
C’est le regard d’une gamine de 12/13 ans au départ, fraîchement débarquée en Guinée à la suite du divorce de ses parents. Loin de la capitale et prise sous l’aile protectrice de sa grand-mère, elle n’a qu’un but : s’inscrire à l’école. Avide de connaissances, elle parviendra à se frayer un chemin dans un contexte hostile. La dictature est un frein considérable puisque les écoles ont été fermées, mais le poids des traditions est lui aussi considérable pour une jeune fille de cet âge et un mariage forcé paraît l’une de ses perspectives la plus proche. "Sache que, devant tes oncles, je ne dirai rien m’assura ma grand-mère. Tant qu’il me restera le moindre souffle, jamais tu ne seras mariée de force. Le cœur n’est pas un genou que l’on plie. Ton grand-père, je l’ai voulu. Je me suis offert un bel homme pour moi toute seule, et qui pour toute richesse n’avait, à part ses terres, que sa beauté."
Voilà une gamine opiniâtre qui résiste face aux adultes, avec les moyens bien maigres dont elle dispose. Elle m’a rappelée d’une certaine façon l’héroïne de "l’hibiscus pourpre",en ce sens qu’elles font preuve toutes deux d’une maturité extraordinaire.
Malgré le contexte politique, le récit est ponctué de beaucoup d’humour avec des répliques bien senties de cette "candide rusée". Elle devra ménager les hommes et leur vanité, les femmes et leur jalousie… "Ménage leur vanité d’hommes. Il faut toujours la flatter. Tout en étant autonome et indépendante, devant eux tu dois étouffer ton intelligence. Cela leur donne l’illusion d’être supérieurs… "
C’est aussi un récit ponctué d’amour, celui d’une grand-mère, loin des grandes manifestations, mais il est là, tendrement avec beaucoup de connivences.
Il y a aussi les premiers émois pour un bel étudiant et un amour démesuré des livres. "Ma grand-mère demeurait interloquée. - Je peux savoir ce qui peut bien te faire pleurer, alors que tu n’as ni faim, ni soif, ni maladie, et de surcroît tes parents en vie ? Comment lui faire comprendre que je devenais moi-même chacun de mes personnages ?"
Pas de pathos, ni de leçon vis-à-vis de ce que fut l’histoire… le cœur n’est pas un genou que l’on plie est le second volet d’une trilogie après "la petite peule", le troisième n’étant pas encore édité.
Malice l'a lu !